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S’il est facile de supposer que les
précédentes leçons vous ont probablement fourni des résultats probants, il est
crucial de maintenir votre cap jusqu'au bout. L’inflexibilité d’un bon anti-manager est une de ses qualités primaires, et doit être à toute
épreuve. Intraitable et impitoyable, rien ne doit jamais vous atteindre, vous
faire changer d’avis ou, pire encore, vous attendrir- sauf si cela est calculé et sert
à vos fins comme dans la leçon Nº1. Face au mur de marbre que vous représentez,
votre équipe éperdue, n’ayant aucune prise sur vous, ne pourra que continuer sa
destructive glissade. Voici dans cette leçon quelques conseils pour un
anti-management des plus rigides.
1- Etre intransigeant sur votre métier
Tout d’abord et cela tombe sous le
sens, le maitre mot de votre métier d’anti-manager- quel qu’il soit- doit être
le respect strict et absolu de vos règles de travail. S’il est clair qu’elles ne
s’applique pas à vous et qu'elles doivent être aussi flexibles et floues que vous le jugerez nécessaire, il vous faut exiger ce respect en toute circonstance, l’ériger en
loi suprême avec laquelle nul ne doit transiger sans en payer le prix.
Quelques recommandations pour cela :
Soyez inflexible sur vos méthodes
de travail et votre approche
Il est évident qu’en tant
qu’anti-manager, vous êtes seul(e) à connaitre les clés de votre métier. Dans
votre équipe c’est donc vous et vous seul(e) qui décidez de comment le travail
doit être fait. Dans cette optique, l’anti-management recommande de n’avoir
qu’une unique approche et qu’une seule méthode de management, et de les
appliquer et faire appliquer scrupuleusement, sans jamais en dévier d’un iota. En termes d’approche dans votre métier, vous aurez soin de favoriser une
approche lourde de contrainte et de processus, nécessitant un grand nombre de
vérifications, et possédant si possible quelques lointaines bases
pseudo-scientifiques- que vous exploiterez grandement tout en prenant soin de
ne pas élaborer ce sujet, évitant ainsi toute remise en question des
fondamentaux de votre approche. Assurez-vous que cette approche ait fonctionné
une fois des années auparavant (ou créez l’histoire qui va avec, cf leçon Nº8)
pour justifier sa réplique systématique dans l’ensemble de vos projets. Inutile
de répéter encore la nécessité d’avoir une équipe plutôt jeune et
inexpérimentée pour mieux atteindre vos fins.
Pour ce qui est des méthodes et des
outils de travail, assurez-vous qu’ils soient les mêmes depuis plusieurs
décennies- une vingtaine d’année est recommandé, mais cela peut aller jusqu’au
siècle pour les méthodes de management, d’excellents ouvrages de contremaitres
d’usines du XIXème siècle sont disponibles à cet effet- et que leur
obsolescence soit une source perpétuelle de frustration pour votre équipe,
auprès de laquelle vous aurez soin d’utiliser l’argument de l’expérience-
manuel poussiéreux de votre premier job à l’appui- pour couper court à toute
critique. Ces méthodes arriérées n’ôtent en rien l’exigence que vous aurez envers
votre équipe quant à la maitrise parfaite des outils modernes- que vous
veillerez à ne jamais utiliser vous-mêmes devant eux, ce qui ne manquera pas de
les mettre régulièrement hors d’eux.
Bien entendu cela ne veut absolument pas dire que votre approche ou vos méthodes doivent être claires et précises, bien au contraire. Elles ne doivent être explicites que pour vous, pour eux plus elles sont inintelligible mieux cela vaut. Il est donc crucial que votre équipe ne puisse trouver nulle part ni document ni écrit décrivant en détail leur contenu, qui restera largement variable au gré de vos envies- tout en demeurant absolument invariable dans votre bouche et dans vos exigences, pour leur plus grande frustration et incompréhension.
Tuez dans l’œuf toute déviation possible
Car il va de soi que vous ne
permettrez pas la moindre modification de votre approche ou de vos méthodes qui ne soit pas de votre fait (et que vous nierez évidemment, prétendant que la méthode a toujours été la même et qu'ils n'y connaissent rien). Tout
en maintenant votre contrôle absolu sur toute leur production- cf leçon Nº3, Rejetez
immédiatement toute tentative de changement dans les méthodes de travail
éprouvées que vous avez mises en place depuis si longtemps. Qu’importe s’ils
suggèrent une façon de sortir les graphiques automatiquement avec excel, soyez
inflexible et exigez qu’ils les produisent à la main un par un « comme on
l’a toujours fait », même en sachant pertinemment qu’ils devront y passer
la nuit. Si d’aventures ils essaient d’innover sur une présentation avec une
structure simplifiée, envoyez violemment valser leur travail en insistant avec
colère que « ce n’est pas ce que je t’avais demandé ! ». Ignorez
tous commentaires ou arguments sur les possibles gains de temps ou d’efficacité
ou d’esthétique que l’amélioration suggérée pourrait apportez, faisant une fois
de plus valoir leur incompétence et l’inanité de leurs tentatives naïves
« tu ne connais rien à ce domaine ». Vous ne pouvez imaginer le degré
de frustration que cela pourra engendrer. Pour pousser encore un peu plus dans
cette voie, les meilleurs anti-managers ont coutume, selon les cas, de feindre d’accepter
la suggestion pour mieux la rejeter publiquement plus tard ou bien de la
refuser en bloc puis de la présenter plus tard comme leur propre idée- cf leçon Nº8. Étouffements de rage garantis. Et bien entendu vous ne manquerez pas
d’exiger d’eux régulièrement, et devant vous, de l’imagination et de la
créativité « donnes-moi immédiatement les 10 actions que nos clients
doivent mettre en place ! », « C’est quoi nos ‘unique selling points’ ? Vas-y, vends-moi
notre nouveau service ! ». Vous pouvez être assuré(e) qu’ils vomiront
rapidement vos modèles et vos méthodes avec leurs sushi de minuit.
Etablissez la dictature des
moindres comportements
Au-delà des méthodes et du contenu de
leur travail, montrez-vous aussi inflexible sur l’ensemble de leurs
comportements. Imposez la loi martiale au bureau. Fixez les horaires (ou plus
exactement l’absence d’horaires hors du bureau), les objectifs, les délais, les
jours de congés, etc, contrôlez systématiquement et hurlez au moindre
manquement. N’hésitez pas à vous fendre de mails collectifs pour remettre votre
équipe à l’ordre «Nous avons des projets en retard, il est inacceptable que
certains se permettent de prendre régulièrement une pause déjeuner de plus
d’une heure». Etablissez des codes vestimentaires et soyez très strict sur ce
point, quitte à exiger que quelqu’un aille s’acheter un pull parce que celui
qu’elle porte ne vous convient pas. Reprenez-les sur leurs tournures de
phrases, sur leur ton, sur leur posture, sur leurs expressions, sur leurs
goûts, enfin sur tous les points possibles vous permettant de les enfermer dans
votre moule. Allez même jusqu’à distribuer dès l’arrivée un livre décrivant la
manière de pensée qu’ils doivent désormais adopter, et renvoyez- les à sa
lecture au moindre relâchement. Et gare à celui qui cherche à en sortir, soyez
implacable, vos foudres le remettront vite dans le droit chemin.
2- Demeurer intraitable sur vos priorités
Une fois les règles de leur
comportement gravées dans le marbre, il convient de se montrer aussi peu
flexible sur ce que vous désirez qu’ils exécutent pour vous. Pour cela deux
règles à appliquer :
Montrez-vous inflexible sur les
délais
Quel que soit ce que vous avez
demandé et quelles que soient les externalités ou autres demandes urgentes qui
ont pu les retarder, leur travail doit vous être livré dans les délais que vous
avez fixés. Insistez à chaque réunion du lundi matin qu’ils doivent atteindre
leurs objectifs « whatever it takes ». Qu’importe les excuses qu’ils
pourront vous fournir, vous serez toujours d’une fermeté exemplaire. Le
temps ou l’énergie qu’une tâche peut demander ne change rien à vos exigences-
que vous aurez soin de relever régulièrement-, seul le résultat validé par vos
soins compte. Sous couvert de tenir des délais toujours plus serrés, vous
exigerez donc de votre équipe, au bureau comme en dehors, une flexibilité
absolue, maintenant le travail comme unique but de leur vie. Ils doivent être à
votre disposition en toute circonstance, vous les payez pour ça « je te
rappelle que tu es en forfait cadre, donc pas tenu de faire 35h ». S’ils n’ont pas tenus leurs délais ou si les
priorités ont changé, soyez inflexibles, demandez-leur d’annuler leurs soirées,
leurs week-end ou de travailler pendant leurs vacances « j’exige les
documents samedi soir dans ma boite mail ». Et s’ils ont osés prendre une
pause pour s’aérer alors que le travail était « urgent », passez-leur
un savon et accablez-les de reproches avant de copieusement assassiner leur
travail pour les renvoyer le refaire. Et pour ajouter encore un peu de piment à
la plaie, il va de soi que le travail « urgent » qui vous sera rendu
restera régulièrement plusieurs jours sur votre bureau sans que vous y jetiez
un œil, les accusant ensuite d’être responsables du retard pris sur le projet,
attisant d’autant plus leur frustration.
Ne transigez jamais sur votre
intérêt
Ensuite et en tant qu’anti-manager, il n’y a que vous et vos intérêts qui comptent
pour votre équipe. Faites donc absolument et totalement abstraction de tout ce
qui pourrait parfois les aider, les avantager ou les arranger. Leur intérêt est
un concept totalement inepte et vide de sens pour vous. Montrez ouvertement que
vous ne chercherez jamais à les satisfaire autrement qu’en leur versant leur
salaire chaque mois- que vous n’hésiterez d’ailleurs pas à verser en retard, ou
à annuler quand il s’agit des bonus, si cela peut servir vos intérêts. Dans
cette logique, prenez le temps de raconter en détail votre vie et toutes vos préoccupations
quotidiennes à votre équipe-surtout le soir au moment où ils souhaitent partir,
sans le moins du monde chercher à connaitre les leurs-sauf dans la mesure où
cela vous sert pour appuyer vos revendications et les remettre à leur place. En
cas de conflit d’intérêt- un membre de votre équipe à une formation, le client
vous demande un document, arbitrez systématiquement en leur défaveur- c’est
vous qui comptez. Et restez absolument impassible face aux prétendues contraintes
personnelles de votre équipe : « XX a un dégât des eaux ?
Qu’il se connecte immédiatement, il s’en occupera plus tard, il faut envoyer le
rapport », « Pardon ? YY doit aller chez le dentiste cet
après-midi ? c’est totalement inacceptable, dit lui qu’elle annule son
RDV ». Là encore rage, dégoût et frustration se ligueront pour concourir à
votre réussite.
3- Ne faire preuve d’aucun état d’âme
Et par-dessus tout, pour compléter le
tableau, un anti-manager doit toujours faire preuve de la plus parfaite absence
de sentiment face aux faiblesses de son équipe. Aucune ne doit jamais le faire fléchir.
Pour cela deux conseils fort utiles :
Soyez impitoyable sur les erreurs
de votre équipe
Simple rappel des leçons précédentes,
et dans le but de maintenir un climat de peur et de stress aussi élevé que permanent,
vous veillerez bien entendu à ne jamais rien laisser passer. Maintenant un
contrôle toujours plus serré de leur production, gestes et même pensées, vous
aurez soin de relever et de retenir contre eux la moindre erreur, le moindre
oubli, le moindre manquement aux règles - que vous vous assurerez de ne jamais
clairement définir, vous laissant ainsi le loisir de les amender au gré de
leurs progrès. Aucune exception ne pouvant être faite, vous réprimanderez vertement
la moindre faute- que vous veillerez à provoquer en appliquant la leçon Nº6 ou à
leur imputer en appliquant la leçon Nº8. Et, balayant toute circonstance
atténuante, vous serez intraitable sur vos châtiments, punissant arbitrairement
et violemment le moindre écart. « Ce n’est pas parce qu’elle est junior
qu’elle peut se permettre ce genre de comportement, je devrais la virer ».
« Non ce n’est pas ce que je voulais, dommage que tu y ais passé la
journée, recommence ». « Vous ne tenez pas vos délais, à partir de
maintenant c’est moi qui décide de quand vous posez vos vacances, et tout le
monde va s’y conformer ». Et, bien entendu, inutile pour un membre de
votre équipe d’envoyer un émissaire plaider sa cause auprès de vous, rien ne
vous fera jamais changer d’avis, même preuve à l’appui. Au contraire dans un
tel cas, ajoutez encore un tour de vis pour bien montrer qu’on ne remet pas en
question votre jugement. Là encore les effets dévastateurs sont garantis.
Ne montrez pas une once de
sensibilité
Enfin et pour parachever votre œuvre,
soyez absolument imperturbable face à leurs émotions. Ce point est capital. Car
leurs manifestations émotionnelles seront inévitables si vous avez su mettre en
application les précédentes leçons. Leur fréquence sera même un étalon de
votre réussite. Il vous faut donc être sur vos gardes, car ces
manifestations ridicules visent subrepticement à assouplir votre rigidité. Demeurez
de marbre face à leurs états d’âmes, si apitoyant qu’ils soient. Larmes,
tremblement, mines de chien battus ou rage contenue, vous savez trop bien que
cette émotivité n’est qu’une marque de leur faiblesse, inutile donc de leur laisser
penser qu’elle peut vous atteindre. Bien au contraire, utilisant un ton de
profond dédain, reprochez-leur leur trop grande sensibilité et leur manque de
résistance au stress, et exigez d’eux qu’ils se maitrisent- « si je peux
te donner un conseil : ne pleure pas au travail !». De même montrez-vous parfaitement insensible à
leurs problèmes personnels, et restez inflexible quant à leurs conséquences.
Quelqu’un a un accident grave qui vous prive de son travail pendant
plusieurs semaines ? dites que « c’est bien fait pour elle, qu’est-ce
qu’elle faisait à trainer dehors un samedi soir ? ». Quelqu’un part
en arrêt maladie pour burn-out au milieu d’une mission sans vous laisser son
ordinateur en partant ? Cela
constitue un motif de licenciement ou tout au moins un avertissement. Qu’il
passe plusieurs mois en dépression grave n’aura pour seul effet que de vous confirmer
qu’il était beaucoup trop sensible- ce que vous ne manquerez pas d’appuyer en
riant. Et si au terme de cette leçon votre équipe en vient à se demander si
vous êtes un être humain, vous avez atteint votre but. Vous êtes un
anti-manager en puissance.
Et eux une équipe en déliquescence.
Votre victoire absolue, et donc leur fin, est à portée de main.