Comment tuer son équipe en 10 leçon: Leçon Nº9 : Se montrer intraitable en toute situation

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S’il est facile de supposer que les précédentes leçons vous ont probablement fourni des résultats probants, il est crucial de maintenir votre cap jusqu'au bout. L’inflexibilité d’un bon anti-manager est une de ses qualités primaires, et doit être à toute épreuve. Intraitable et impitoyable, rien ne doit jamais vous atteindre, vous faire changer d’avis ou, pire encore, vous attendrir- sauf si cela est calculé et sert à vos fins comme dans la leçon Nº1. Face au mur de marbre que vous représentez, votre équipe éperdue, n’ayant aucune prise sur vous, ne pourra que continuer sa destructive glissade. Voici dans cette leçon quelques conseils pour un anti-management des plus rigides.


1- Etre intransigeant sur votre métier
Tout d’abord et cela tombe sous le sens, le maitre mot de votre métier d’anti-manager- quel qu’il soit- doit être le respect strict et absolu de vos règles de travail. S’il est clair qu’elles ne s’applique pas à vous et qu'elles doivent être aussi flexibles et floues que vous le jugerez nécessaire, il vous faut exiger ce respect en toute circonstance, l’ériger en loi suprême avec laquelle nul ne doit transiger sans en payer le prix. Quelques recommandations pour cela :

Soyez inflexible sur vos méthodes de travail et votre approche
Il est évident qu’en tant qu’anti-manager, vous êtes seul(e) à connaitre les clés de votre métier. Dans votre équipe c’est donc vous et vous seul(e) qui décidez de comment le travail doit être fait. Dans cette optique, l’anti-management recommande de n’avoir qu’une unique approche et qu’une seule méthode de management, et de les appliquer et faire appliquer scrupuleusement, sans jamais en dévier d’un iota. En termes d’approche dans votre métier, vous aurez soin de favoriser une approche lourde de contrainte et de processus, nécessitant un grand nombre de vérifications, et possédant si possible quelques lointaines bases pseudo-scientifiques- que vous exploiterez grandement tout en prenant soin de ne pas élaborer ce sujet, évitant ainsi toute remise en question des fondamentaux de votre approche. Assurez-vous que cette approche ait fonctionné une fois des années auparavant (ou créez l’histoire qui va avec, cf leçon Nº8) pour justifier sa réplique systématique dans l’ensemble de vos projets. Inutile de répéter encore la nécessité d’avoir une équipe plutôt jeune et inexpérimentée pour mieux atteindre vos fins.
Pour ce qui est des méthodes et des outils de travail, assurez-vous qu’ils soient les mêmes depuis plusieurs décennies- une vingtaine d’année est recommandé, mais cela peut aller jusqu’au siècle pour les méthodes de management, d’excellents ouvrages de contremaitres d’usines du XIXème siècle sont disponibles à cet effet- et que leur obsolescence soit une source perpétuelle de frustration pour votre équipe, auprès de laquelle vous aurez soin d’utiliser l’argument de l’expérience- manuel poussiéreux de votre premier job à l’appui- pour couper court à toute critique. Ces méthodes arriérées n’ôtent en rien l’exigence que vous aurez envers votre équipe quant à la maitrise parfaite des outils modernes- que vous veillerez à ne jamais utiliser vous-mêmes devant eux, ce qui ne manquera pas de les mettre régulièrement hors d’eux.
Bien entendu cela ne veut absolument pas dire que votre approche ou vos méthodes doivent être claires et précises, bien au contraire. Elles ne doivent être explicites que pour vous, pour eux plus elles sont inintelligible mieux cela vaut. Il est donc crucial que votre équipe ne puisse trouver nulle part ni document ni écrit décrivant en détail leur contenu, qui restera largement variable au gré de vos envies- tout en demeurant absolument invariable dans votre bouche et dans vos exigences, pour leur plus grande frustration et incompréhension.

Tuez dans l’œuf toute déviation possible
Car il va de soi que vous ne permettrez pas la moindre modification de votre approche ou de vos méthodes qui ne soit pas de votre fait (et que vous nierez évidemment, prétendant que la méthode a toujours été la même et qu'ils n'y connaissent rien). Tout en maintenant votre contrôle absolu sur toute leur production- cf leçon Nº3, Rejetez immédiatement toute tentative de changement dans les méthodes de travail éprouvées que vous avez mises en place depuis si longtemps. Qu’importe s’ils suggèrent une façon de sortir les graphiques automatiquement avec excel, soyez inflexible et exigez qu’ils les produisent à la main un par un « comme on l’a toujours fait », même en sachant pertinemment qu’ils devront y passer la nuit. Si d’aventures ils essaient d’innover sur une présentation avec une structure simplifiée, envoyez violemment valser leur travail en insistant avec colère que « ce n’est pas ce que je t’avais demandé ! ». Ignorez tous commentaires ou arguments sur les possibles gains de temps ou d’efficacité ou d’esthétique que l’amélioration suggérée pourrait apportez, faisant une fois de plus valoir leur incompétence et l’inanité de leurs tentatives naïves « tu ne connais rien à ce domaine ». Vous ne pouvez imaginer le degré de frustration que cela pourra engendrer. Pour pousser encore un peu plus dans cette voie, les meilleurs anti-managers ont coutume, selon les cas, de feindre d’accepter la suggestion pour mieux la rejeter publiquement plus tard ou bien de la refuser en bloc puis de la présenter plus tard comme leur propre idée- cf leçon Nº8. Étouffements de rage garantis. Et bien entendu vous ne manquerez pas d’exiger d’eux régulièrement, et devant vous, de l’imagination et de la créativité « donnes-moi immédiatement les 10 actions que nos clients doivent mettre en place ! », « C’est quoi nos ‘unique selling points’ ? Vas-y, vends-moi notre nouveau service ! ». Vous pouvez être assuré(e) qu’ils vomiront rapidement vos modèles et vos méthodes avec leurs sushi de minuit.


Etablissez la dictature des moindres comportements
Au-delà des méthodes et du contenu de leur travail, montrez-vous aussi inflexible sur l’ensemble de leurs comportements. Imposez la loi martiale au bureau. Fixez les horaires (ou plus exactement l’absence d’horaires hors du bureau), les objectifs, les délais, les jours de congés, etc, contrôlez systématiquement et hurlez au moindre manquement. N’hésitez pas à vous fendre de mails collectifs pour remettre votre équipe à l’ordre «Nous avons des projets en retard, il est inacceptable que certains se permettent de prendre régulièrement une pause déjeuner de plus d’une heure». Etablissez des codes vestimentaires et soyez très strict sur ce point, quitte à exiger que quelqu’un aille s’acheter un pull parce que celui qu’elle porte ne vous convient pas. Reprenez-les sur leurs tournures de phrases, sur leur ton, sur leur posture, sur leurs expressions, sur leurs goûts, enfin sur tous les points possibles vous permettant de les enfermer dans votre moule. Allez même jusqu’à distribuer dès l’arrivée un livre décrivant la manière de pensée qu’ils doivent désormais adopter, et renvoyez- les à sa lecture au moindre relâchement. Et gare à celui qui cherche à en sortir, soyez implacable, vos foudres le remettront vite dans le droit chemin.


2- Demeurer intraitable sur vos priorités
Une fois les règles de leur comportement gravées dans le marbre, il convient de se montrer aussi peu flexible sur ce que vous désirez qu’ils exécutent pour vous. Pour cela deux règles à appliquer :

Montrez-vous inflexible sur les délais
Quel que soit ce que vous avez demandé et quelles que soient les externalités ou autres demandes urgentes qui ont pu les retarder, leur travail doit vous être livré dans les délais que vous avez fixés. Insistez à chaque réunion du lundi matin qu’ils doivent atteindre leurs objectifs « whatever it takes ». Qu’importe les excuses qu’ils pourront vous fournir, vous serez toujours d’une fermeté exemplaire. Le temps ou l’énergie qu’une tâche peut demander ne change rien à vos exigences- que vous aurez soin de relever régulièrement-, seul le résultat validé par vos soins compte. Sous couvert de tenir des délais toujours plus serrés, vous exigerez donc de votre équipe, au bureau comme en dehors, une flexibilité absolue, maintenant le travail comme unique but de leur vie. Ils doivent être à votre disposition en toute circonstance, vous les payez pour ça « je te rappelle que tu es en forfait cadre, donc pas tenu de faire 35h ».  S’ils n’ont pas tenus leurs délais ou si les priorités ont changé, soyez inflexibles, demandez-leur d’annuler leurs soirées, leurs week-end ou de travailler pendant leurs vacances « j’exige les documents samedi soir dans ma boite mail ». Et s’ils ont osés prendre une pause pour s’aérer alors que le travail était « urgent », passez-leur un savon et accablez-les de reproches avant de copieusement assassiner leur travail pour les renvoyer le refaire. Et pour ajouter encore un peu de piment à la plaie, il va de soi que le travail « urgent » qui vous sera rendu restera régulièrement plusieurs jours sur votre bureau sans que vous y jetiez un œil, les accusant ensuite d’être responsables du retard pris sur le projet, attisant d’autant plus leur frustration.

Ne transigez jamais sur votre intérêt
Ensuite et en tant qu’anti-manager,  il n’y a que vous et vos intérêts qui comptent pour votre équipe. Faites donc absolument et totalement abstraction de tout ce qui pourrait parfois les aider, les avantager ou les arranger. Leur intérêt est un concept totalement inepte et vide de sens pour vous. Montrez ouvertement que vous ne chercherez jamais à les satisfaire autrement qu’en leur versant leur salaire chaque mois- que vous n’hésiterez d’ailleurs pas à verser en retard, ou à annuler quand il s’agit des bonus, si cela peut servir vos intérêts. Dans cette logique, prenez le temps de raconter en détail votre vie et toutes vos préoccupations quotidiennes à votre équipe-surtout le soir au moment où ils souhaitent partir, sans le moins du monde chercher à connaitre les leurs-sauf dans la mesure où cela vous sert pour appuyer vos revendications et les remettre à leur place. En cas de conflit d’intérêt- un membre de votre équipe à une formation, le client vous demande un document, arbitrez systématiquement en leur défaveur- c’est vous qui comptez. Et restez absolument impassible face aux prétendues contraintes personnelles de votre équipe : « XX a un dégât des eaux ? Qu’il se connecte immédiatement, il s’en occupera plus tard, il faut envoyer le rapport », « Pardon ? YY doit aller chez le dentiste cet après-midi ? c’est totalement inacceptable, dit lui qu’elle annule son RDV ». Là encore rage, dégoût et frustration se ligueront pour concourir à votre réussite.



3- Ne faire preuve d’aucun état d’âme
Et par-dessus tout, pour compléter le tableau, un anti-manager doit toujours faire preuve de la plus parfaite absence de sentiment face aux faiblesses de son équipe. Aucune ne doit jamais le faire fléchir. Pour cela deux conseils fort utiles :

Soyez impitoyable sur les erreurs de votre équipe
Simple rappel des leçons précédentes, et dans le but de maintenir un climat de peur et de stress aussi élevé que permanent, vous veillerez bien entendu à ne jamais rien laisser passer. Maintenant un contrôle toujours plus serré de leur production, gestes et même pensées, vous aurez soin de relever et de retenir contre eux la moindre erreur, le moindre oubli, le moindre manquement aux règles - que vous vous assurerez de ne jamais clairement définir, vous laissant ainsi le loisir de les amender au gré de leurs progrès. Aucune exception ne pouvant être faite, vous réprimanderez vertement la moindre faute- que vous veillerez à provoquer en appliquant la leçon Nº6 ou à leur imputer en appliquant la leçon Nº8. Et, balayant toute circonstance atténuante, vous serez intraitable sur vos châtiments, punissant arbitrairement et violemment le moindre écart. « Ce n’est pas parce qu’elle est junior qu’elle peut se permettre ce genre de comportement, je devrais la virer ». « Non ce n’est pas ce que je voulais, dommage que tu y ais passé la journée, recommence ». « Vous ne tenez pas vos délais, à partir de maintenant c’est moi qui décide de quand vous posez vos vacances, et tout le monde va s’y conformer ». Et, bien entendu, inutile pour un membre de votre équipe d’envoyer un émissaire plaider sa cause auprès de vous, rien ne vous fera jamais changer d’avis, même preuve à l’appui. Au contraire dans un tel cas, ajoutez encore un tour de vis pour bien montrer qu’on ne remet pas en question votre jugement. Là encore les effets dévastateurs sont garantis.

Ne montrez pas une once de sensibilité 
Enfin et pour parachever votre œuvre, soyez absolument imperturbable face à leurs émotions. Ce point est capital. Car leurs manifestations émotionnelles seront inévitables si vous avez su mettre en application les précédentes leçons. Leur fréquence sera même un étalon de votre réussite. Il vous faut donc être sur vos gardes, car ces manifestations ridicules visent subrepticement à assouplir votre rigidité. Demeurez de marbre face à leurs états d’âmes, si apitoyant qu’ils soient. Larmes, tremblement, mines de chien battus ou rage contenue, vous savez trop bien que cette émotivité n’est qu’une marque de leur faiblesse, inutile donc de leur laisser penser qu’elle peut vous atteindre. Bien au contraire, utilisant un ton de profond dédain, reprochez-leur leur trop grande sensibilité et leur manque de résistance au stress, et exigez d’eux qu’ils se maitrisent- « si je peux te donner un conseil : ne pleure pas au travail !».  De même montrez-vous parfaitement insensible à leurs problèmes personnels, et restez inflexible quant à leurs conséquences. Quelqu’un a un accident grave qui vous prive de son travail pendant plusieurs semaines ? dites que « c’est bien fait pour elle, qu’est-ce qu’elle faisait à trainer dehors un samedi soir ? ». Quelqu’un part en arrêt maladie pour burn-out au milieu d’une mission sans vous laisser son ordinateur en partant ?  Cela constitue un motif de licenciement ou tout au moins un avertissement. Qu’il passe plusieurs mois en dépression grave n’aura pour seul effet que de vous confirmer qu’il était beaucoup trop sensible- ce que vous ne manquerez pas d’appuyer en riant. Et si au terme de cette leçon votre équipe en vient à se demander si vous êtes un être humain, vous avez atteint votre but. Vous êtes un anti-manager en puissance.



Et eux une équipe en déliquescence. Votre victoire absolue, et donc leur fin, est à portée de main.